À voir absolument, la pièce sociale qui porte bien son nom 1


L’impatience est à son comble… Dans une petite salle de seulement 120 places, située en plein cœur de Montmartre, le public prend place dans des canapés : il se sent comme chez lui, dans un espace chaleureux.

21h45, les premières notes de musique se font entendre : un peu particulières, elles sont en réalité un brouhaha de jour de grève, dans les transports en commun. Le spectateur ne tarde pas à comprendre que la pièce se déroule lors d’une importante grève qui paralyse la France.

Le speech : C’est la grève générale, plus de trains, plus de métros, des manifs, des coupures de courant, d’eau, des rendez-vous manqués, une tension maximum… Un appartement vide. “À voir absolument !” disait l’annonce… Pas d’agence, pas de propriétaire. Ils sont quatre à attendre, quatre à se battre pour obtenir ce havre de paix. Quatre personnages qui se jaugent, se confient, se cognent, et finalement, s’aiment le temps d’une folle journée.

Les comédiens se glissent dans leurs personnages, sans fautes. Tout d’abord, Julia Maraval. Avec son mari (Frédéric Tokarz), ils sont les premiers sur les lieux, à “9h pile”. Ils veulent cet appartement ! Ensuite, Emma Colberti. Son entrée est, comment dire… Sportive et chaotique, sur une trottinette. Les présentations sont faites. Elle se retrouve face à ce couple, venu également visiter l’appartement de l’annonce. Le premier quiproquo est en scène : ils se prennent respectivement pour le personnel de l’agence ayant passé ladite annonce dans des magazines spécialisés. Elle profite de la situation pour jouer les psys, en utilisant sa propre expérience avec les hommes. De là, les rires s’enchaînent. Pas le temps de s’ennuyer ! En quelques secondes seulement, le public est embarqué dans leur univers. Mais le jour de grève générale stresse son monde… Enfin, Philippe Hérisson. Ses entrées en scène sont fracassantes. Il hurle au téléphone, en injuriant son interlocuteur. On comprend, par la suite, qu’il s’agit de l’un de ses employés de bureau qu’il vire. Difficile de retenir un fou rire général, d’autant plus qu’il termine la matinée ivre mort…

Ils cherchent à construire ou reconstruire leur vie. Ils viennent de vivre une rupture, qu’elle soit sentimentale (Mathieu et Fanny) ou professionnelle et familiale, avec l’arrivée pas prévue d’un enfant (Charles et Alice). Chacun espère dans son coin obtenir ce havre de paix, ce nouveau départ, mais ils laissent inconsciemment transparaître leurs angoisses et leurs faiblesses : c’est de cette manière qu’ils vont progressivement apparaître les uns aux yeux des autres.

La rivalité sans arbitre entre les personnages est particulièrement visible entre Charles et Mathieu : ils jouent une petite guéguerre prétentieuse, se battant à coup de fiches de paie, lettres de recommandations bancaires ou avis d’imposition, se toisant, se méprisant poliment. Les deux acteurs jouent parfaitement la comédie des candidats prêts à s’entre-tuer verbalement.

Et puis il y a Fanny, très justement interprétée par Emma Colberti. Un peu à part, moins dans le combat, plus disposée à l’analyse des motivations de chacun – dont les siennes, Fanny observe tranquillement et avec bienveillance. Elle va influencer le dénouement, après un morceau de bravoure en solitaire. Elle interroge les convictions des autres sans s’épargner pour autant. Elle déstabilise. Fanny incite à la confession, à la remise en question.

Ces rôles, fort bien écrits par Frédéric Tokarz, laissent, malgré tout, place à l’improvisation. La pièce étant rodée (elle a été jouée aux Mathurins en 2009), les comédiens n’hésitent pas à se laisser aller dans leurs rôles respectifs, en modifiant légèrement leurs dialogues, de temps à autre. Ils connaissent le sujet, l’ayant peut-être déjà vécu dans la vie.

Chaque personnage arrive sur scène avec son identité, reflétée par les costumes. Emma Colberti, bien que sur une trottinette, porte un élégant imper noir, assorti à ses sandales, ainsi qu’un foulard de couleur clair et d’un tailleur foncé (d’ailleurs peu visible sous l’imper). Julia Maraval, quant à elle, est vêtue d’un manteau beige, d’un béret, d’une jupe claire relativement longue, et d’un gilet bleu/vert. Les deux autres comédiens ont des tenues plus simples : l’un porte un blouson et un pull noirs, sur un pantalon taillé ; l’autre un blouson imitation cuir, un polaire gris, et une minerve au début du spectacle (cette dernière étant le témoin de l’ivresse du personnage dès le milieu de la pièce…).

À voir absolument ! est une pièce sur l’engagement, sur le grand saut du mariage, des enfants, mais aussi une pièce psychologique, où l’auteur explique avec humour comment éviter les préjugés, comment ne pas tomber dans le piège des stéréotypes. Elle évoque également les échecs du passé, les frustrations. C’est une pièce qui fait grandir, inconsciemment, le spectateur. Le décor, comme aux Mathurins, est minimisé au maximum : un canapé, une chaise, une porte coulissante pour indiquer la salle de bain, et les murs. À noter, une petite différence : la porte d’entrée n’est plus visible par le spectateur.

Excessivement drôle, mise en scène par Nicolas Lartigue, A voir absolument ! est une comédie qui tient les promesses du genre, sans tomber dans le ridicule. Cette comédie, entre rires et émotions, est interprétée par des comédiens à l’immense talent, qui n’hésitent pas à accentuer leurs personnages, sans être dans la caricature, tout en suggérant des caractères torturés. Chacun se reconnait plus ou moins dans ces personnages attachants qui vivent plutôt mal ce jour de grève.

À voir absolument !, de Frédéric Tokarz (disponible aux éditions Art et comédie), avec Emma Colberti, Philippe Hérisson, Julia Maraval et Frédéric Tokarz • Mise en scène de Nicolas Lartigue • Jusqu’au 8 janvier 2011 • Du mercredi au samedi 21h30, dimanche 15h30 • Ciné 13 Théâtre, 1 Avenue Junot, 75017 Paris. Téléphone : 01 42 54 15 12.


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