En 1943, lorsque Jacques Prévert commence le scénario des Enfants du paradis, il ignore le retentissement qu’aura le film à sa sortie en salles, en mars 1945. C’est le premier film “libre” de la paix revenue. En partenariat avec la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé et Pathé, la Cinémathèque française livre les secrets de ce film de légende dans une exposition unique.
Lorsque le visiteur entre dans la pièce, il devient un personnage du décor. Dès lors, il peut commencer sa visite… Chaque salle correspond à une étape du film. Avec des fonds datant des années 1940, la Cinémathèque retrace l’histoire d’une œuvre qui sort de l’ordinaire.
Les sources d’inspiration sont diverses. Les documents, originaux, proviennent du musée Carnavalet (Paris). Ce sont principalement des toiles représentant le quotidien du boulevard du Temple, souvent nommé le boulevard du Crime. La mise en scène des Enfants du paradis est un travail collectif, à partir de ces toiles. Le peintre Mayo, et les décorateurs Barsacq et Trauner sont liés au projet de Marcel Carné. Par ailleurs, Jacques Prévert est fasciné par le criminel Lacenaire. Plusieurs des personnages sont inspirés de personnages réels : Batiste Deburau et Pierre François Lacenaire, entre autres.
Ce nouveau projet de Marcel Carné réunit une bande d’amis qui a déjà fait ses preuves. En effet, Carné et Prévert n’en sont pas à leur coup d’essai. Ils ont collaboré pour Jenny, Drôle de drame, Quai des brumes, Le jour se lève. Les enfants du paradis est leur cinquième collaboration. Autour d’eux, le public retrouve Trauner, Kosma, mais aussi Léon Barsacq, Mayo, Roger Hubert et André Paulvé.
La production du long métrage débute en janvier 1943, avec la rédaction d’un scénario illustré, dont le manuscrit est exposé. Dans ce premier jet apparaissent les personnages principaux. C’est à ce moment qu’intervient le poète Jacques Prévert. Il écrit un scénario dialogué, avec les répliques les plus mythiques. Peu de temps avant le début du tournage, Marcel Carné établit un découpage très technique, avec quelques variantes par rapport au scénario de Prévert. Ce découpage est très pointilleux : mentions techniques de musique, de son, d’éclairages, de mouvement de caméra. Marcel Carné est un remarquable réalisateur et technicien.
Dès cette étape, le film se découpe en trois grandes époques : le boulevard du crime, l’homme blanc, et le procès Deburau. Cette dernière ne sera jamais tournée. Les seules traces de son existence sont les maquettes de costumes, des contrats d’acteurs, des dessins de Barsacq, des éléments dans le scénario.
Scénario achevé, le tournage peut commencer. En août 1943, une première partie se déroule dans une maison discrète de l’arrière pays niçois. Trauner et Kosma étant juifs, ils doivent se cacher… Le réalisateur se sert également des studios de la Victorine, à Nice, dans lesquels il a fait reconstituer le boulevard du crime et ses nombreux théâtres. Pour des raisons politiques et financières, le tournage est interrompu en septembre 1943. Il ne reprend qu’en novembre 1943. Cette fois, les prises de vue ont lieu dans les studios Pathé-Cinéma, rue Francoeur, à Paris, puis dans les studios Pathé de Joinville. En janvier 1944, l’équipe achève le tournage dans les studios de la Victorine, non sans difficultés : une bourrasque a détruit une partie des décors du boulevard du Temple…
Avant, pendant et après la Libération, en 1944, Marcel Carné poursuit la production de son film. L’Occupation allemande n’a pas freiné son enthousiasme. Il ira jusqu’à acheter ses pellicules au marché noir, afin de ne pas abandonner.
Autres éléments importants de l’œuvre, les costumes et les affiches. Des exemples d’affiches et de costumes sont exposés. Les affiches sortent des ateliers Jacques Fourastié. Parmi les costumes, le public peut admirer ceux de Garance (Arletty), Pierrot, Célestin ou encore Scapin.
Le film achevé, il est présenté en avant-première mondiale le 2 mars 1945, au Palais de Chaillot. Arletty se fait remarquée par son absence : arrêtée le 20 octobre 1944 à l’hôtel Lancaster, elle est accusée d’avoir eu une relation amoureuse avec un Allemand… Dès 1945, le film est un triomphe à Paris.
Au final, Les enfants du paradis aura coûté 42 500 000 de francs, soit un dépassement de 13 900 000 francs par rapport au budget initial. Volontairement, Marcel Carné a retardé la sortie du film. Ainsi, il en a fait le premier film de la paix retrouvée.
Le succès du film ne s’arrête pas aux frontières. Aux États-Unis, il rencontre un vif succès, et obtient sa sélection aux Oscars de 1946. Peu de temps avant, le film avait été distribué au Royaume-Uni, sous son titre original. Du 30 novembre 1946 au 27 mars 1947, il fait salle comble, au Rialto.
En 2008, le chef d’œuvre de Carné renait sur la scène de l’Opéra national de Paris. Le ballet est signé José Martinez et Marc Olivier Dupin. En mars et octobre 2012, Les enfants du paradis est ressorti sur les écrans américains et français. Restauré et en haute définition, il est à l’affiche de la Filmothèque du quartier latin. Le film est également disponible en DVD et Blu-ray depuis le 24 octobre, date de sa ressortie en France.